Et si la baisse de l’aide internationale favorisait les initiatives hors réseau pour l’accès à l’eau potable ?
Le démantèlement de l’USAID marque un tournant, offrant une opportunité de briser l’inertie du secteur de l’eau
Le démantèlement de l’USAID peut sembler radical, mais il reflète une tendance plus large : les pays à hauts revenus recentrent leur attention sur leurs propres priorités et adoptent une approche plus transactionnelle de l’engagement mondial. Des pays comme le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni ont déjà restructuré leurs agences d’aide bilatérale, et les niveaux d’aide internationale sont en baisse.
Pour les pays à faibles revenus, ces évolutions représentent à la fois des défis et des opportunités. Dans le secteur de l’eau, les aides extérieures diminuent, alors qu’un déficit annuel de financement de 140 milliards de dollars persiste (Banque mondiale, 2024), rendant le rêve d’une couverture universelle en eau courante de plus en plus inaccessible. Cependant, ce constat pourrait bien être un catalyseur nécessaire pour dépasser les paradigmes obsolètes qui ont systématiquement échoués.
Pourquoi les modèles traditionnels d’accès à l’eau ont échoué
Pendant des décennies, tous les efforts ont été centrés sur la concrétisation d’un modèle idéal : “un robinet d’eau par foyer”, une approche inspirée des pays riches. Ce modèle sous-tend que les infrastructures centralisées de distribution d’eau sont la voie royale vers un accès universel à l’eau potable. Pourtant, malgré des décennies d’investissements dans ce secteur, des recherches récentes estiment que plus de quatre milliards de personnes n’ont toujours pas accès à une eau potable gérée en toute sécurité (Science, 2024), soit un chiffre deux fois plus élevé que les estimations précédentes.
En effet, dans de nombreux pays à revenus faibles et intermédiaires, les services publics de distribution d’eau rencontrent de grandes difficultés. L’expansion des infrastructures est coûteuse et lente, tandis que la gouvernance et les compétences techniques restent peu développées, et la qualité du service encore très inégale. Par conséquent, les communautés rurales restent largement mal desservies, tandis que l’urbanisation rapide exerce une pression considérable sur les systèmes d’eau existants.
Des fournisseurs d’eau hors réseau comblent déjà le vide
Depuis le début des années 2000, une transformation discrète modifie l’accès à l’eau potable dans ces pays (Aquaya, 2009), et ce, sans être portée par l’aide internationale. Localement, des initiatives privées de traitement et de vente d’eau se créent pour répondre à la demande des populations en eau potable. Ces entrepreneurs exploitent des technologies de traitement de plus en plus sophistiquées pour vendre de l’eau purifiée, en vrac ou conditionnée.
Ce phénomène prend encore plus d’ampleur en raison des mauvaises performances des services publics et de l’évolution des attentes des consommateurs. En Asie et en Amérique Latine, l’eau embouteillée est ainsi devenue la principale source d’eau potable, même pour les familles à faible revenu. Dans certaines régions d’Afrique, l’eau en sachet, des poches jetables vendue à un prix abordable, est devenue une solution répandue, permettant à des millions de personnes d’accéder à une eau propre à la consommation.
Bien que ces nouvelles solutions répondent à un besoin urgent de santé publique, elles soulèvent également de nouvelles préoccupations. Ces fournisseurs d’eau, souvent petits et fragmentés, fonctionnent généralement avec un contrôle limité, soulevant ainsi des questions sur la qualité de l’eau, l’accessibilité du prix pour les populations les plus vulnérables, ainsi que sur l’impact environnemental de ces modèles.
Un changement stratégique et économiquement viable ?
Dans de nombreux contextes, soutenir et encadrer ces acteurs pourrait s’avérer une approche plus rentable pour améliorer l’accès à l’eau potable que d’investir uniquement dans les infrastructures traditionnelles. En effet, la croissance de ces initiatives entrepreneuriales, la propension des consommateurs à payer, ainsi que les faibles exigences en capital et en expertise technique de ces solutions par rapport aux infrastructures centralisées, suggèrent que ce modèle alternatif serait un complément solide aux services d’eau courante existants (1001fontaines).
Une stratégie pragmatique consisterait par exemple à instaurer des normes de qualité et des réglementations adaptées pour garantir la santé publique. Il s’agirait également d’allouer une petite partie des investissements du secteur de l’eau au développement des capacités de traitement décentralisées afin de rendre l’eau fournie par ces services plus abordable pour les populations démunies. Plutôt que de considérer ces petits fournisseurs d’eau comme des concurrents des services publics, les gouvernements pourraient s’appuyer sur leurs initiatives pour améliorer les services existants. Un exemple convaincant de cette intégration est le récent lancement, à Mexico, d’un service municipal de distribution d’eau conditionnée en bonbonnes réutilisables de 19 litres, destiné aux communautés non connectées au réseau de distribution de la ville.
Un nouveau modèle souhaitable
Cet exemple mexicain illustre le potentiel des nouveaux partenariats public-privé, susceptibles de se développer dans le paysage en mutation du développement international. Alors que l’aide internationale s’amenuise, les solutions locales, concrètes, adaptables et en phase avec les besoins des populations, doivent occuper le devant de la scène. Si les gouvernements mettent en place des politiques pertinentes garantissant qualité, accessibilité et durabilité environnementale, et si les acteurs du développement soutiennent la structuration de ces marchés, alors ces nouveaux modèles pourraient accélérer l’accès universel à l’eau potable bien plus efficacement que les infrastructures classiques.
Avec plus de quatre milliards de personnes toujours privées d’un accès garanti à l’eau potable, il est plus urgent que jamais de repenser nos stratégies d’accès à l’eau.
Auteurs :

Dr. Ranjiv Khush
Co-fondateur d’Aquaya ; Ph.D., UC Santa Cruz ; ancien chercheur à Stanford et au CNRS Paris.

Amandine Muret
Directrice du développement chez 1001fontaines ; promotrice des modèles de distribution en bonbonnes de 20 litres pour l’accès à l’eau potable.